
At home with the Nenets - Chez les nénètses
Michel Rawicki
Ten years ago, renowned photographer Michel Rawicki travelled to the Russian far north to live among the Nenets, an indigenous Samoyedic people native to Arctic Siberia. Semi-nomadic, the Nenets have, for centuries, lived in symbiosis with their harsh environment, and in particular with reindeer, which they rely on for transport, shelter, clothing, and food. They migrate with the herds, relocating hundreds of miles as the seasons shift, in search of summer and winter pastures - just as the reindeer do.
Traditionally, the Nenets believe that the natural world is inhabited by spirits, understood through a unique cultural lexicon that is increasingly rare in today’s world. Like many indigenous peoples, their beliefs, language, and ways of life are under threat. They face mounting challenges: climate change, industrialisation, the colonisation of their native lands, and political marginalisation. And yet, they continue to fight - to preserve their identity, autonomy and language, adamant to retain the right to pass on their values to their children.
In his own words, Michel Rawicki recalls his experience among them:
“Drawn since childhood to Earth’s coldest regions and the people who live there, it was only natural that I found myself in the heart of the Arctic Urals, among the Nenets of Yamal. Nomadic reindeer herders, they welcomed me into their world and allowed me to share their daily life. That year was a rich one for me - my compass as a ‘cold hunter’ guided me from Alaska to Greenland by way of Siberia, in search of the peoples of the cold.
As always - and because it is vital to respect the customs and rhythms of these families - bonds gradually formed with Vladimir, Preskova, and their children: Anna, a curious teenager with a small red digital camera of her own, to whom I gave a few tips; Wladislaw, twelve, already learning the delicate art of reindeer capture; and finally little Vadim, just three and a half, cherished by his parents and doted on by his older siblings.
After a week of sharing their tasks and daily activities, real trust developed. We moved camp every three or four days, allowing their 200 reindeer to graze under the snow. Day by day, a closeness grew between Vadim and me. I got into the habit of showing him photos I’d taken the day before - portraits of his father lassoing a reindeer, images of the family cooking, gathering snow, or laughing around the stove.
One day, I showed him photos of polar bears from a previous expedition. He raised his little hand to pause me, then ran to his family’s side of the chum, the traditional reindeer-hide tent. From an old travel bag, he pulled out a stuffed bear. Without a word, just with a glance, he took my hand and led me outside.
A small black sled was waiting. Vadim climbed on with his teddy bear, his red cheeks glowing with excitement. I understood that he wanted me to take him for a ride across the snowy taiga, as evening fell and the family dog looked on. As the snow began to fall again, off we went - just the two of us, seeking adventure.
That moment - much more than a sleigh ride - filled me with deep joy. Because beyond distance, beyond generations, beyond customs, there is something constant: the simple human need to share. To offer time, attention, smiles, and love.”
These photographs offer a glimpse into the world of the Nenets, and, by proxy, into an alternative way of living in the contemporary world - one that reminds us that lives in conjunction with the natural world are not only possible, but still persisting at the edges of an otherwise rapidly changing world.
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Il y a dix ans, le photographe renommé Michel Rawicki s’est rendu dans le Grand Nord russe pour vivre parmi les Nénètses, un peuple samoyède autochtone originaire de la Sibérie arctique. Semi-nomades, les Nénètses vivent depuis des siècles en symbiose avec leur environnement rigoureux, et en particulier avec les rennes, dont ils dépendent pour le transport, l’abri, les vêtements et la nourriture. Ils migrent avec leurs troupeaux, parcourant des centaines de kilomètres au rythme des saisons, à la recherche des pâturages d’été et d’hiver - tout comme les rennes eux-mêmes.
Traditionnellement, les Nénètses croient que le monde naturel est habité par des esprits, perçus à travers un lexique culturel unique devenu de plus en plus rare dans notre monde contemporain. Comme beaucoup de peuples autochtones, leurs croyances, leur langue et leur mode de vie sont menacés. Ils doivent faire face à des défis croissants : changement climatique, industrialisation, colonisation de leurs terres ancestrales et marginalisation politique. Et pourtant, ils continuent à lutter - pour préserver leur identité, leur autonomie et leur langue, résolus à conserver le droit de transmettre leurs valeurs à leurs enfants.
Dans ses propres mots, Michel Rawicki se souvient de son expérience parmi eux :
“Attiré depuis mon enfance par les régions froides de la planète et les peuples qui y vivent, c’est tout naturellement que mes pas m’entraînent, en ce mois d’avril 2015, au cœur de l’Oural arctique, chez les Nénètses du Yamal, nomades éleveurs de rennes, dont j’ai partagé le quotidien. Une année riche, durant laquelle ma boussole de « chasseur de froid » me guidera de l’Alaska au Groenland, en passant par la Sibérie, à la rencontre de ces «peuples du froid».
Comme toujours, et parce qu’il est crucial de respecter les habitudes de vie de ces familles, des liens se sont peu à peu créés avec Vladimir, Preskova et leurs enfants : Anna, d’abord, jeune adolescente très intéressée par la photographie, possédant elle-même un petit compact numérique rouge, à qui j’ai eu plaisir à donner quelques conseils techniques ; Wladislaw, 12 ans, futur héritier de la technique si particulière qu’est la capture du renne ; et enfin le petit Vadim, 3 ans et demi, choyé par ses parents et chouchouté par ses frères et sœurs, comme tout petit dernier.
Après une semaine de partage, au fil des tâches et activités quotidiennes avec cette famille si attachante, de vrais liens s’étaient créés. Nous changions régulièrement de camp, tous les trois ou quatre jours, afin que les quelque 200 rennes qui composaient le troupeau de la famille Laptander puissent trouver, sous la neige, leur indispensable nourriture durant le long hiver russe.
De jour en jour, une proximité s’était installée entre Vadim, le petit dernier, et moi. J’avais pris l’habitude de lui montrer, chaque jour, des photos réalisées les jours précédents : des portraits de son père Vladimir en action, capturant un renne, ainsi que des scènes de leur vie quotidienne, telles que faire du feu, aller chercher de la neige pour la cuisine ou la toilette, ou tout simplement rire et plaisanter en famille, le soir, autour du poêle.
Un jour, alors que je lui montrais quelques images d’ours polaires prises quelques mois plus tôt, il me fit signe d’attendre, levant sa petite main vers moi. Il alla fouiller dans ses affaires, dans la partie gauche du tchoum, réservée à la famille, et, après avoir cherché dans un vieux sac de voyage, en ressortit un ours en peluche. C’est alors, sans que nous échangions un mot - juste quelques regards complices - qu’il me prit la main, m’invitant à sortir.
À l’extérieur du Tchoum - l’habitat traditionnel de ce peuple de nomades (on en compte environ 55000, ce qui fait d’eux l’ethnie la plus importante des « petits peuples russes ») - attendait un petit traîneau noir, sur lequel il s’assit avec son nounours. Ses petites pommettes rougies par le froid éclairaient le visage de ce petit garçon si attachant. Je compris qu’il me demandait de l’emmener en promenade dans la taïga, en cette fin de journée d’avril, sous l’œil attentif du chien de la famille.
Alors que la neige recommençait à tomber, nous partîmes, lui et moi, en quête d’aventures. Cette relation complice, bien au-delà de la simple promenade, me remplit d’une profonde joie. Car au-delà des distances, de la différence de générations, des coutumes propres à chaque peuple ou ethnie, il existe une vérité immuable : partager, et offrir du temps, de l’écoute, des sourires, et de l’amour.”
Ces photographies offrent un aperçu du monde des Nénètses et, par extension, d’une autre manière de vivre dans le monde contemporain - une manière qui nous rappelle que des vies en harmonie avec la nature ne sont pas seulement possibles, mais qu’elles persistent encore, aux marges d’un monde en mutation rapide.
A Note on the Author:
Born in Paris in 1950, Michel Rawicki grew up in the Bastille district. "At twelve years old, I discovered this incredible magic — pressing a button and capturing an image of reality, thanks to the Kodak 'Star Flash' and its pinbulb that was fixed from above, the first camera my parents gave me." Then, during a trip to the Chamonix valley in 1962, the idea of "embracing the cold" began to take root in him, where he took his first photos of ice at the Aiguille du Midi.
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Né à Paris en 1950, Michel Rawicki grandit dans le quartier de la Bastille. « À douze ans, je découvre cette magie incroyable, presser sur un bouton et obtenir une image de la réalité, grâce au « Star Flash » Kodak, et son ampoule à broches qu’on fixait par le haut, premier appareil photo offert par mes parents. » Puis, lors d’un voyage dans la vallée de Chamonix en 1962, la notion d’« embrasser le froid » commence à germer en lui, il y réalisera ses premières photos de « glace » à l’aiguille du midi.